O solitude de Catherine Millot


« Et le soleil se lèvera sur la mer, se couchera sur la mer. Je pourrai sortir le matin sur le pont le regarder se lever jusqu'à ce que l'aube grise devienne la rose aurore, et ensuite me rendormir, tout enclose dans la beauté du jour naissant. »

Je m'aperçois que je n'ai commenté aucune lecture depuis plus d'un an.
Pourtant, j'ai lu d'excellents livres en particulier Soundtrack de Hideo Furukawa qui m'a laissé un souvenir impérissable. Je dois avouer que la désertion de mes quelques abonnés au profit des réseaux sociaux me démotive et m'accable quelquefois.

La lecture entraîne la lecture
Peu après mon commentaire sur Abîmes ordinaires de Catherine Millot, je croise à la boulangerie une connaissance de lecture que je rencontre habituellement dans les librairies. Connaissant mon admiration pour ce livre, elle me conseilla O solitude du même auteur. L'éloge qu'elle en fit gagna ma curiosité et, proprement acheté, O solitude regagna ma pile de lecture à venir, jusqu'à cette semaine.

Inclassable
Il ne s'agit pas d'un roman ni d'une autobiographie. Est-ce une analyse littéraire ? Non plus. Et ce n'est pas un ouvrage de philosophie. Une biographie alors ? ou un essai psychanalytique ?... Non. O solitude est un peu de tout cela. Selon le lecteur, il en fera sa force ou sa faiblesse.

Un livre érudit
O solitude est un voyage immobile, celui du solitaire, aux pays des solitudes. Pour véhicule, Catherine Millot convoque de nombreux écrivains, artistes ou penseurs. Edgar Poe, Roland Barthes, le peintre Caspar David Friedrich, Pascal Quignard, Proust et Lacan ou le naturaliste Hudson sont des passeurs pour explorer la solitude par choix, la solitude heureuse, et la solitude subie.

« Le goût de la solitude et du silence est peut-être le goût de l'enfance »
La solitude et le silence me sont indispensables et prééminents à mon espace intime de vie. Sans eux, je suis une machine, un robot répétitif privé de créativité et de repos, prompt aux asservissements volontaires. Il a fallu que toute ma personne s'écroule (effondrement est plus explicite que burnout), pour comprendre la nécessité absolue du retour à la solitude et au silence, seules vecteurs d'être en paix dans le monde.
Alors ce livre d'une sobre beauté et profondément méditatif est un phare saisissant qui éclaire ma propre solitude.
J'apprécie la relation que Catherine Millot propose avec l'enfance. On m'a cité récemment un bref poème chinois qui dit "j'oublie le nom de l'arbre pour mieux l'observer". C'est dans ce cadre du non-langage ou d'avant-langage que j'appréhende la solitude et l'enfance. L'enfant est pris dans le silence des mots qu'il n'a pas, tout entier livré aux sens, dans l'exercice sans borne de la liberté.
La solitude n'est pas un cloisonnement mais au contraire un vaste espace de liberté. La solitude est une façon d'être au monde comme une île est entourée d'eau.
Catherine Millot écrit : voir le monde avec l'appareil sensoriel d'un adulte et l'esprit vierge d'un nouveau-né, ce serait comme accéder enfin au réel à l'état pur, c'est-à-dire dépourvu de sens, ce serait être enfin délivré de la fatigue du sens.

Echapper à la contrainte quotidienne
Ce livre m'ouvre un autre aspect du mot japonais fūryū. Souvent attaché au raffinement artistique et esthétique, fūryū est aussi une façon d'être à l'écart du monde, dans l'impermanence des choses, dans la distance de soi avec soi et la sérénité qui l'accompagne. Il permet d'aller dans l'effervescence de la société puis de s'isoler dans l'oubli complet, dans la liberté d'esprit qu'est le fūryū, dans la solitude en somme.

La cellule et le désert
La solitude à deux visages. L'enfermement dans l'espace clos qui sépare des lieux collectifs ou les grands espaces inhabités.
Catherine Millot démontre l'équivalence entre la clôture et l'ouverture, car au font la solitude est parfaite quand le moi s'y dissous et qu'on y est soi-même absent.

O solitude
de Catherine Millot
Ed. Folio

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O solitude
de Marc-Antoine Girard de Saint-Amant
musique de Purcell
interprétation par Alfred Duller

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